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    2 months ago

    La dissolution du 9 juin a suscité une incompréhension qui s’est étendue jusqu’à la majorité qu’on disait alors « présidentielle ». Ses mobiles ont semblé obscurs, hormis peut-être pour son auteur même. Cette décision a d’autant plus perturbé l’opinion qu’elle venait d’un organe, le président de la République, dont la responsabilité politique ne peut pas être engagée. Ce que nous avons vu, à cette occasion, c’est qu’un acteur constitutionnellement irresponsable paraît perdre la capacité à justifier ses actions, pour ne pas dire qu’il en perd jusqu’au souci.

    Longtemps tolérée du fait de son élection au suffrage universel direct, l’irresponsabilité politique du président, qui n’est pas véritablement limitée par le mécanisme de destitution de l’article 68 de la Constitution, pose donc désormais un problème sérieux, rendu plus aigu encore par l’ambivalence des prises de position du chef de l’Etat.

    De sa lettre aux Français, en juillet, à ses interventions visant à justifier les « consultations » pour le choix d’un nouveau premier ministre, le président a insisté sur sa fonction de « protecteur de l’intérêt supérieur de la Nation et garant des institutions ». Passons sur le fait, souvent remarqué, que la phase de crise par laquelle sont passées nos institutions procède de sa propre décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Quoi qu’il en soit, ce rôle de garant des institutions et de la continuité nationale supposerait, pour lui, d’occuper la place d’un pouvoir neutre, à l’image des monarques constitutionnels d’antan ou des présidents de nos précédentes républiques.

    Or, le président n’a cessé d’agir en véritable chef de l’exécutif, appuyant lui-même certains choix politiques, par exemple, la vente des Rafale à la Serbie, ou en désavouant d’autres, par exemple s’agissant d’écarter le nom de Lucie Castets au motif qu’elle serait immédiatement censurée par l’Assemblée. Cette ambivalence pose un problème institutionnel. On ne peut guère être à la fois un pouvoir neutre et un acteur engagé.

    Décisions suspectes Par ailleurs, le résultat des élections législatives de juin-juillet a eu pour effet de communiquer ce caractère d’irresponsabilité au gouvernement Attal qui, après sa démission, est resté en fonction pour gérer les affaires dites « courantes ». Cette expression désigne la limitation des pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire. C’est le juge administratif qui en fixe le périmètre, par une jurisprudence cohérente mais inévitablement casuiste. Dire qu’un gouvernement expédie les affaires courantes ne délimite donc pas un périmètre clair de compétences.

    Certes, le gouvernement actuel n’a pas déposé, par exemple, de projets de lois, ni pris l’initiative de politiques nouvelles, mais il a par ailleurs gouverné de manière active : pilotage des Jeux olympiques, mesures individuelles, prises de position à l’étranger du ministre des armées sur la politique de défense, préparation de la rentrée scolaire… La notion d’affaires courantes n’est donc pas très éclairante du point de vue du domaine des pouvoirs exercés. Plus grave encore : la référence aux affaires courantes ne dit rien de la légitimité du gouvernement concerné. Etre démissionnaire ne suffit pas à un gouvernement pour rester en fonction plus que le strict nécessaire. Que dire d’un gouvernement qui aura, dans sa phase démissionnaire, duré pratiquement deux mois ?

    Dès lors, que le gouvernement ait gouverné bien ou mal, trop ou trop peu, toutes ses décisions ont été suspectes. Comme le montre la discussion sur le futur budget, qu’il fallait inévitablement commencer à préparer, le problème n’est pas celui de la sphère de ses attributions, mais de la source de son autorité. La responsabilité du gouvernement devant le Parlement ne pouvait pas être engagée puisqu’il était démissionnaire : on n’aurait pas pu le faire tomber par un vote de défiance, puisqu’il était déjà censé avoir perdu le pouvoir.

    Au mieux, et il faut s’en féliciter, certains ministres ont-ils pu être auditionnés, comme le furent Bruno Le Maire et Thomas Cazenave devant la commission des finances de l’Assemblée nationale. Faute de confiance parlementaire, le gouvernement démissionnaire ne reste en fonction que… parce qu’il est démissionnaire, ce qui est une bien faible assise.

    Confiance insuffisante Avec la nomination de Michel Barnier comme premier ministre, le pays n’est pas pour autant sorti de cette phase de pouvoir irresponsable. Il faudra pour cela que le premier ministre et son futur gouvernement jouissent de la confiance de l’Assemblée nationale. On ne le saura qu’au début de la nouvelle session, le 1er octobre. M. Barnier ne peut se réclamer, pour le moment, que de l’investiture présidentielle, et donc d’une légitimité réduite. Le président l’a bel et bien nommé, lui et pas un ou une autre, au terme d’une longue phase de réflexion et à la suite de la mise à l’écart d’autres candidats.

    Le président a donc fait un choix, comme l’y autorisait la formule laconique de l’article 8 de la Constitution – le président « nomme le premier ministre ». Dans le même temps, on sait bien que ce choix n’est pas celui qu’il aurait effectué s’il avait bénéficié d’une majorité pour le soutenir à l’Assemblée nationale. Gouvernement de confiance présidentielle, donc, mais de confiance présidentielle faible ou du moins insuffisante.

    Notre pays aura donc connu un long été d’irresponsabilité exécutive. Or, un pouvoir exécutif irresponsable est de toute nécessité un pouvoir faible. Dans le parlementarisme moderne, l’engagement de la responsabilité politique devant le Parlement n’est pas seulement l’outil qui permet de démettre un gouvernement. Son rôle est avant tout positif. L’exécutif en reçoit son autorité. Du moment qu’il a trouvé sa majorité, un gouvernement responsable est un gouvernement fort. Un pouvoir exécutif irresponsable, en revanche, est condamné à demeurer fragile.