Un feu tricolore et une note pour informer sur le contenu des aliments. Le Nutri-Score est simple et a prouvé son efficacité : depuis sa mise en place en 2017, les produits dans le rouge ont perdu des parts de marché et ceux classés en vert gagnent du terrain. Les marques ont donc fait des efforts pour alléger la teneur en sucre, en sel ou en gras de leurs denrées.
Mais elles peuvent encore mieux faire : l’actualisation du Nutri-Score, qui vise à les y pousser, est déjà en vigueur dans les pays européens l’ayant adopté mais toujours pas en France. La publication du texte règlementaire détaillant la V2 du Nutri-Score a en effet été mise sur pause depuis la dissolution de l’Assemblée nationale.
Le logo se veut accessible à tous dans les rayons car « l’obésité est un marqueur social qui touche davantage les plus précaires. Les études scientifiques indépendantes montrent qu’il est particulièrement efficace sur les populations défavorisées, qui ont moins accès aux informations nutritionnelles », met en avant Serge Hercberg, épidémiologiste et l’un des créateurs de l’étiquetage coloré.
Sous la pression des consommateurs et consommatrices, près de 1 200 marques ont fini par l’adopter. Même le géant Nestlé a cédé en 2019. Il s’en sert d’ailleurs maintenant dans sa stratégie de communication : un haut dirigeant de Nestlé Europe s’est même affiché en photo avec le « père du Nutri-Score », Serge Hercberg, sur le réseau LinkedIn, pour annoncer que l’entreprise continuera d’arborer le logo sur sa marchandise après la mise à jour.
En revanche, Danone a décidé de l’abandonner pour ses yaourts à boire Actimel, ainsi que ses boissons végétales Alpro, selon les informations de Mediapart. Contacté, Danone n’a pas confirmé à l’heure où nous publions cet article.
« C’est lamentable. Danone continue de mettre en avant le Nutri-Score quand cela met en valeur ses marques mais le retire de celles particulièrement pénalisées par l’actualisation du Nutri-Score. Et pour cause, il s’agit de produits très sucrés qui vont passer de la note A ou B aux notes C, D, voire E », réagit Serge Hercberg. « Ce rétropédalage montre que Danone retourne sa veste quand ça l’arrange », déplore également Audrey Morice, chargée de campagne de l’ONG Foodwatch.
Avec la mise à jour, les boissons végétales à base de soja, d’avoine ou de riz, sont à présent moins bien classées, au grand dépit de Bjorg, leader français de l’alimentation biologique. « Bjorg joue sur un marketing diététique et agit comme si le fait de vendre du bio lui donnait une sorte de blanc-seing pour le reste. Alors que cela ne l’empêche pas de proposer des produits trop sucrés », dénonce Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui a inventé le Nutri-Score.
En réponse, la marque a radicalement décidé d’abandonner le Nutri-Score. Elle le peut : il n’est toujours pas obligatoire de l’afficher sur la face avant des emballages.
Bjorg espère sortir de la photo de classe des bons élèves ni vu ni connu : depuis avril 2023, les emballages de ses produits arborent le Planet-Score à la place du Nutri-Score. Cet indicateur n’a rien à voir puisqu’il mesure l’impact environnemental, mais il utilise la même notation et le même code couleur. « C’est malhonnête. Il ne s’agit pas d’un logo officiel, contrairement au Nutri-Score, et le format graphique est si proche qu’on s’y trompe. Leurs produits sont déclassés en note C, D ou E avec la mise à jour. Mais ils affichent une note A ou B… grâce au Planet-Score, ce qui trompe le consommateur », dénonce Serge Hercberg, qui se lamente : « La capacité d’adaptation des lobbys rend difficiles les mesures de prévention. »
Interrogée par Mediapart, Bjorg répond : « Nos engagements pour la nutrition ne changent pas et nous utilisons toujours le Nutri-Score comme boussole pour élaborer nos nouvelles recettes. Il est toujours affiché sur les sites distributeurs. Et en scannant le code-barres de nos produits, vous pouvez le retrouver facilement avec des applications dédiées. »
Certes. Mais cela n’est pas le choix de Bjorg. Les acteurs de la grande distribution ont effectivement décidé en France d’afficher le Nutri-Score des aliments pour les commandes en ligne, même ceux des marques qui refusent de jouer le jeu. Grâce à cela, il est possible d’avoir accès aux produits majoritairement dans le rouge des marques Ferrero, Mars, Lactalis ou Mondelez International.
Des applications telles qu’Open Food Facts tentent ainsi de pallier le manque de transparence de ces cancres de l’agro-alimentaire, pour les consommateurs et consommatrices volontaires… Mais l’information ne vient pas directement à leurs yeux en poussant le caddie.
Dans la même veine mais au rayon charcuterie cette fois, Fleury Michon a décidé d’abandonner le Nutri-Score visible pour ses jambons les moins bien classés depuis octobre 2021 : un QR code le remplace pour « en savoir plus sur le produit ».
Quant à la gamme de boissons Emmi Caffè Latte, dont la note se dégrade du fait de leur teneur en sucre, elle a elle aussi laissé tomber le Nutri-Score depuis la mi-mars. Interrogé par Mediapart, le producteur assure que la notation plus sévère du nouveau Nutri-Score « n’a pas influencé [sa] décision. La raison principale est que d’autres concurrents de boissons à base de café et de lait n’ont pas introduit le Nutri-Score sur leurs emballages, ce qui ne permet pas de comparaison. De plus, il n’y a pas eu d’harmonisation au sein de tous les pays européens dans lesquels Emmi est présent ».
Une promesse non tenue de l’Europe En effet, seules sept nations européennes, dont la France, se sont converties au Nutri-Score. La Commission européenne avait fait la promesse d’une généralisation, mais « elle ne l’a pas tenue du fait du lobbying de l’industrie agro-alimentaire, qui torpille avec des moyens importants un petit logo coloriel dont le seul objectif est de servir la santé publique », déplore Audrey Morice, chargée de campagne de l’ONG Foodwatch. « Non seulement cela a retardé l’adoption dans plusieurs pays européens, mais cela a aussi affaibli le Nutri-Score dans ceux qui l’ont mis en place, puisque des marques se désengagent », poursuit-elle.
À Bruxelles, ce lobby est soutenu par l’Italie, qui reprend les arguments d’un Nutri-Score qui pénaliserait les produits du terroir comme le fromage. Foodwatch a demandé à la Commission européenne de s’expliquer, ce qu’elle a encore refusé le 28 mai 2024, selon les documents que Mediapart a pu consulter. Pour se justifier, l’instance européenne met en avant auprès de Mediapart « des travaux très complexes ».
Pourtant, même la puissante Fédération du commerce et de la distribution française (FCD), après avoir lutté contre le Nutri-Score à ses débuts, y a adhéré et demande dorénavant à la Commission européenne qu’il soit adopté dans toute l’UE. « Les enseignes rapportent que les autorités italiennes font pression sur elles pour tenter de les empêcher d’achalander sur leur territoire des produits dont l’emballage présente le Nutri-Score. Il faut une harmonisation », plaide Émilie Tafournel, directrice qualité de la FCD.
En Suisse, le leader de la grande distribution, Migros, a décidé d’arrêter de marquer du fer du Nutri-Score ses produits propres. « L’actualisation a pu aider à prendre cette décision, mais nous l’aurions dans tous les cas retiré », assure Tristan Cerf, porte-parole de Migros. Le même qui défendait encore le Nutri-Score en 2022 dans un reportage de la Radio télévision suisse.
« Nos données nous montrent que la clientèle comprend mal le Nutri-Score », justifie-t-il à présent, en admettant ne pas se baser sur une enquête particulière, si ce n’est « les contacts quotidiens avec les clients ». Deuxième argument : mettre à jour le Nutri-Score reviendrait trop cher. Le porte-parole reconnaît pourtant « ne pas avoir réalisé d’estimation des coûts supplémentaires ». Et pour cause, les marques disposent de deux ans pour mettre à jour les emballages. Dans ce laps de temps, la rotation des stocks exige de toute façon des réimpressions.
La portion magique
À la place, Migros ressort des cartons une vieille proposition initialement portée par le « Big 6 » : Coca-Cola, PepsiCo, Mondelez International, Nestlé, Unilever et Mars. Tandis que le Nutri-Score fonde sa notation sur 100 grammes ou 100 millilitres, afin de permettre la comparaison d’un coup d’œil entre les différents produits, les géants de l’agro-alimentaire, eux, préfèrent afficher les valeurs nutritionnelles par portion.
Mais qu’est-ce qu’une portion ? Les plus gros fournisseurs des hypermarchés la définissent unilatéralement alors qu’une portion varie selon l’âge, le sexe, l’activité physique… Ils la mentionnent souvent en complément à l’arrière des paquets et voudraient que ce soit ce système de portion qui permette d’attribuer une note. « À partir du moment où les lobbys n’arrivent plus à bloquer, ils proposent des alternatives », commente Serge Hercberg.
Lactalis constitue un bon exemple à cet égard. Le mastodonte de l’industrie laitière a toujours refusé d’afficher le Nutri-Score, du fait, en particulier, du mauvais classement de ses fromages Camembert Président, Pointe de brie, Bridel et autres Roquefort Société. En 2021, Lactalis a donc sensibilisé les politiques français·es « à l’impact du projet Nutri-Score sur la filière des produits laitiers ». En 2024, Lactalis a consacré entre 200 000 et 300 000 euros pour tenter d’influencer les décideurs français, selon le registre de la HATVP. Également, entre 100 000 et 200 000 euros en lobbying auprès des instances européennes, rien qu’en 2022.
« Cette notion de portion est une manipulation totale pour réduire artificiellement les quantités de gras et de sucre consommées », déplore Chantal Julia, professeure de nutrition et membre du comité scientifique qui a réévalué le Nutri-Score. « Les géants de l’agro-alimentaire choisissent des petites portions alors qu’il est évident que le consommateur lambda en mange au moins le double », dénonce aussi Mélissa Mialon, docteure en santé publique à l’Inserm et autrice du livre Big Food & Cie (Thierry Souccar éditions, 2021).
Par exemple, Ferrero refuse d’apposer le Nutri-Score sur ses produits Kinder, Nutella, Crunch, Tic Tac, etc. Dans un courriel envoyé à Mediapart, le groupe met en avant le système par portion qui lui semble plus juste. Prenons l’exemple des Schoko-Bons de Kinder, qui obtiennent la plus mauvaise note au Nutri-Score – E, selon Open Food Facts. « La portion choisie est un bonbon. Qui s’arrête à un Schoko-Bons ? », interroge Emma Calvert, porte-parole du Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), chargée de la politique alimentaire.
Twix : un seul doigt coupe-faim Même stratagème utilisé par le géant Mars : la portion correspond par exemple à un seul des deux doigts coupe-faim Twix. Par ailleurs, « les études montrent que c’est plus difficile pour le consommateur de faire le calcul au supermarché sans comparaison possible », rapporte Emma Calvert.
« Pour appuyer leurs positions, les acteurs économiques se basent sur des études scientifiques qu’ils sponsorisent », regrette Serge Hercberg. Migros affirme ainsi avoir défini les portions de ses propres marques en se basant sur « les recommandations de la Société suisse de nutrition (SSN) », qui est en partie financée par les industriels. En tant que membre donateur, Migros lui verse autour de 5 140 euros par an. « Afin de garantir l’indépendance financière de la SSN, différentes sources de financement sont volontairement recherchées. Les cotisations des membres donateurs représentent au total seulement 12 % de nos recettes », se défend la SSN.
Stéphane Besançon, professeur en santé publique au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), a montré en 2023 dans le British Medical Journal que la probabilité qu’une étude ne soit pas favorable au Nutri-Score est vingt et une fois plus forte si les auteurs déclarent un conflit d’intérêts ou si elle est abreuvée par l’industrie agro-alimentaire : « Quand l’industrie finance, elle trouve les résultats qui lui conviennent. »
C’est clair qu’après des années à mettre du sucre, du gras et du sel dans leurs produit parce que c’est pas cher et que c’est addictif, ils ne leur reste plus rien pour etre fier de ce qu’il vendent…
En même temps, l’industrie agro-alimentaire n’est pas là pour pour nourrir les gens correctement. Elle est là pour faire du fric, comme toutes les industries.
En règle générale, mon réflexe est simple : si un produit n’a pas de nutriscore, j’en déduis que c’est de la m…de non assumée par le fabricant, je ne prends pas. Surtout si d’autres produits similaires ont le nutriscore et qu’il est moyen/mauvais.